À l’école primaire, Nelson est timide et silencieux. On lui fiche la paix. Personne ne peut imaginer ce qui se trame derrière ses petits yeux vifs, curieux et rieurs. « Ça marchait dans toutes les matières, sauf en musique. » Lors de la leçon de solfège, tous les élèves réussissent plus ou moins la dictée musicale. Sauf lui ! Il a systématiquement zéro sur dix. Pas doué pour la musique, pense l’enseignant de bonne foi. Bien au contraire ! Ayant l’oreille absolue, l’enfant ne reconnaît aucune note chantée. Et les rythmes ne sont pas assez précis. Là où un esprit moyen relativise et compense, un cerveau hyper sophistiqué bute sur l’à-peu-près et souffre au moindre grain de sable. À l’âge adulte, ce perfectionnisme aigu nourrira son trac.

Mais ce n’est pas tout. Ses moyens pianistiques sont immenses, ses facultés techniques sans limite, sauf qu’un troll s’est ingénié à lui mitonner un talon d’Achille. « Dans une gamme (je ne vous dirai pas laquelle), il y a quelque chose que tout le monde sait faire, sauf moi », me confiera-t-il un jour. Et dans Le Monde de la Musique en 2000 : « Il m’arrive de buter sur un passage facile et de ne pas y arriver. Je reprends plus tard et là ça marche. Impossible de comprendre pourquoi. »

Pour l’instant, le problème est d’ordre psychologique et il est grave. Depuis l’arrivée à Rio, aucun professeur ne convient à l’enfant. Son premier maître est un monsieur de la vieille école. Quand l’élève n’exécute pas ses demandes à la lettre, il a l’habitude de lui infliger une chiquenaude à l’oreille. Or Nelson a horreur qu’on le touche. Dès qu’une main s’approche, la zone menacée devient rouge comme un piment. Quant aux oreilles, c’est sa partie la plus intime. L’idole sacrée d’un temple chachapoyan. L’équivalent des cheveux pour Martha Argerich qui sort ses griffes si on les lui touche. La première fois, malgré une douleur insoutenable, que seuls les hypersensibles peuvent comprendre, Nelson ne dit rien, mais le lobe de son oreille devient couleur sang.

Les parents demandent respectueusement audience au professeur et lui expliquent : « Il ne faut surtout pas le toucher. » Le professeur dit qu’il comprend, mais, dès la leçon suivante, une nouvelle chiquenaude taquine l’oreille rendue incandescente. À la troisième fois, sans dire un mot, Nelson lui lance un grand coup de pied dans le tibia. De toutes ses forces. Le vieux monsieur se met à hurler. Il chasse l’insolent et lui interdit la porte de sa classe. Consternation des parents. On trouve d’autres professeurs, mais quelque chose s’est brisé dans la tête de l’enfant : « Je me méfiais de tous. Je n’en aimais aucun. » Dorénavant, il fait montre d’un mélange de timidité et d’agressivité, tel un animal blessé.