Extrait

Le lendemain à la tombée du soir, une pirogue, par le large, s’approche du village. Découpée sur la lumière du couchant, une silhouette mince, reconnaissable de loin : Nilêh debout, tenant son équilibre malgré un roulis assez fort.

D’une main, il tient la rame. De l’autre il brandit le poing. Ainsi, on veut lui voler son destin, hurle-t-il dans le vent qui ramène contre les huttes des bribes d’une venimeuse harangue. Mais qu’elle le sache : il la maudit, elle, Sendjar, son aînée exécrée, comme il maudit l’ensemble des femmes idousses !

– Tu veux te venger parce que j’ose soutenir le projet ouxe, mais je ne suis pas ton jouet, et je suis en droit, vocifère-t-il par-dessus les vagues, de voter ce que je veux ! Je suis adulte, adulte ! Le comprendras-tu ?

(Adulte : les consonnes roulées de ce mot idousse, pour signifier tout à la fois « autonome », « solide », « responsable » et « offert, offerte à la souffrance du désenchantement ».)

– Jamais je n’accepterai cette révocation, hurle encore Nilêh.

Il veut rester roi et chef de chasse, et qu’Achar aille au diable avec son désir de se fourrer dans l’utérus une petite ou un petit dont la charge lui retombera dessus, à lui qui refuse – il les prévient ! – d’endosser quelque obligation que ce soit vis-à-vis d’un nouveau rejeton ; il en a fini d’obéir à ces principes avilissants et ne laissera plus ni ses sœurs ni sa mère infléchir son destin, car il est temps de balayer les vieux devoirs.

L’a-t-elle compris ? Le temps est venu de faire advenir un ordre nouveau !